L’AISP peut être considérée comme un grand pont sur la rivière Kwaï qui, en plus relierait non pas deux rives escarpées sur un fleuve capricieux (à l’époque de sa création sous l’égide de l’UNESCO, « l’Ouest » et « l’Est » ou « les deux ‘démocraties’ ») mais aujourd’hui plusieurs fleuves asiatiques, latino-américains et autres dans le grand bassin fluvial de la globalisation. De ce pont Serge Hurtig a été une arche, presque depuis son début, de ces arches de bois d’orme qui ont soutenu plusieurs siècles les ponts de Londres. Si je ne suis pas certain qu’il ait connu personnellement Quincy Wright, le premier président, il a connu tous les autres de William Robson il y a soixante ans à Leonardo Morlino aujourd’hui en passant par Carl Friedrich, Jacques Freymond, Stein Rokkan, Jean Laponce, Karl Deutsch, Candido Mendes, Klaus von Beyme, Kinhide Mushakoji, Guillermo O’Donnell, Carole Pateman, pour ne pas aller au-delà des années 1990. Participant à un nombre considérable de sessions du Conseil et du Comité Exécutif soit comme secrétaire général (de 1960 à 1967) ou vice- président du CE (de 1979 à 1985), soit comme responsable de la Documentation politique internationale (International Political Science Abstracts) de 1963 à nos jours, depuis douze ans aux côtés de Paul Godt, sa connaissance de l’histoire de l’Association, sa compétence linguistique, son sens aigu de ce qui est possible et opportun comme de ce qui est conforme à la règle en ont fait l’un de leurs membres les plus utiles.
La Documentation politique internationale n’a pas été créée par lui, mais je ne m’avancerai pas beaucoup en disant qu’il l’a « recréée » et développée aussi bien techniquement qu’intellectuellement. Où trouverait-on, référencés et résumés deux mois à peine après leur parution, un tel volume d’articles tirés de plus de 800 revues de science politique mais aussi d’économie, de sociologie, de droit, d’anthropologie, d’histoire parfois, en plusieurs langues « occidentales » mais aussi en turc, en langues slaves et balkaniques ainsi qu’en japonais ? Tenant vaillamment compte de la prolifération constante de nouvelles revues de plus en plus spécialisées, la Documentation est aujourd’hui le seul pont réunissant pays, sous-disciplines er sous-domaines dans des revues allant des plus prestigieuses aux plus humbles. Cette réussite, qui honore l’AISP et justifie avec ses Congrès et l’·¡²Ô³¦²â³¦±ô´Ç±èé»å¾±±ð qu’elle vient de publier en huit volumes, son existence sexagénaire face à la concurrence des Associations spécialisées dans un domaine, est largement due au pilier qu’est Serge Hurtig.
Je ne saurais terminer sans mentionner sa contribution à l’ouverture de la science politique française en un temps où les nombreuses opportunités européennes et mondiales n’existaient pas. Il a été notamment l’organisateur des deux Congrès que l’AISP a tenus à Paris, en 1961 et 1985. Sait-on suffisamment tout ce que les chroniques bibliographiques de la Revue française de science politique des années 1960 aux années 1980 lui doivent ? Qu’il a fait traduire en français Easton et Sartori, contribué en tant que professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris à faire connaître Lasswell et inviter parmi d’autres Stein Rokkan et David Apter à l’IEP, dont le directeur de l’époque, Jacques Chapsal, ne croyait guère à la science politique bien qu’ayant présidé l’AISP de 1958 à 1961 ? Ici encore il a été et reste un pilier robuste et indispensable.
Jean Leca
Sciences Po Paris
Président de l'AISP 1994-1997